Merci à Mr Pierre GUICHON de partager ses recherches sur notre commune.
Vous pouvez visiter son site : www.histoirde.over-blog.com

Le Rouquin et le tonnieau

Noël approche, un peu de détente avec cette histoire amusante de sort a été rapportée par une Ravetonne de souche, à qui, la victime d’un « j’teux d’sorts » l’avait racontée au début du siècle dernier.

Les faits se déroulent entre les villages de Varreddes et d’Etrepilly, aux alentours de 1860.

A cette époque habitait dans la Petite-Rue un « rouquin » pas bien beau mais très gentil. Il avait pour sobriquet le curieux nom de Paraîné.

Ce Paraîné fréquentait une jeune fille d’Etrepilly. Seul obstacle à leur bonheur : le père du « rouquin » était contre cette union.

L’usage voulait qu’on échangeât entre village les graines de carottes, pour éviter que les souches et les races s’appauvrissent.

Notons au passage que la culture de ces carottes était prépondérante dans l’économie du petit village de Varreddes… Elles ont, avec les navets, les radis noirs et autres raves (racines), contribué à donner leur nom aux habitants de ce village : les Ravetons.

Ainsi donc, un beau jour, le père de Paraîné l’envoya à Etrepilly échanger des graines chez un sorcier …, espérant bien qui allait lui jeter un sort.

« J’écout’mo père, racontait Paraîné. Et j’va à Etrepilly« 

En cours de route, il fit ce qu’il avait à faire avec sa bonne amie ; puis se rendit chez l’homme en question. Ils échangèrent les sacs de graine.

A la nuit tombante, Paraîné redescendait la côte qui mène à Varreddes. Il marchait paisiblement, portant, en bon fils de paysans qu’il était, une culotte de gros velours, un « gilet noué », veste traditionnelle de coutil, et des sabots de grisard bourrés de paille, dont la route résonnait à chaque pas, lorsque :

« D’un coup, j’entends un bruit du ‘diab’ que feuraillait derrière mouè !
E’ j’’ me sont r’tourné, un tonnieau roulait derrière moè.
J’ m’è sont mis à courrir, el tonnieau courait.
J’ralentis, el tonnieau ralentit.
Pu que j’courrais, pu qu’el tonnieau courrait derrière moè. »

Parvenu en bas de la côte, le « rouquin », de plus en plus effrayé, s’emmancha dans le premier chemin venu, celui de la Couture-l’Evêque, perpendiculaire à la route ; là où la pente s’estompe  puis disparaît.

« J’prends la coutre, el tonnieau filait toujours derrière moè.« 

Le tonneau aux fesses, Paraîné courrait, courrait de toutes ses jambes de vingt ans. Il traversa par les chemins la moitié du village pour arriver chez lui.

Devant la porte de son père, il frappa de toutes ses forces :

« Mô père, mô père, ouvrez moé (on disait vous à ses parents à l’époque), y’a l’tonnieau qu’è là derrière moé, y’a l’tonnieau qui court là derrière moè.« 

Le père souleva puis tira le gros verrou qui fermait la porte « débascula » le loquet et ouvrit.

Paraîné entra et il refermère la porte.

Pour sûr on lui avait jeté un sort.

Paraîné est mort à quatre-vingt ans, et qu’on sache, il n’est plus retourné à Etrepilly.

Source : Bergers de Brie, Sorciers de Brie aux presses du Villages (1991), avec la collaboration de Marc Rousseau